Matthieu de Lauzun,

l’étoilé sur les chemins d’Orient.

En 10 ans, il est devenu un chef qui compte en Occitanie. À Gignac et désormais Pézenas, Matthieu de Lauzun, une étoile Michelin, défend une cuisine subtile, précise et généreuse, mêlant habilement esprit des terroirs languedociens et influences du Maghreb. Retour sur un parcours initiatique sur les deux rives de la Méditerranée.

portrait Matthieu de Lauzun

Il était une fois… Un petit lodévois fasciné par la cuisine marocaine. Dans les années 90, alors qu’il passe ses étés chez sa grand-mère pied-noir installée au Maroc, le jeune Matthieu de Lauzun passe sa vie dans les fourneaux. « Dès qu’on recevait du monde, on préparait des grands plats : tajines, couscous, seffa, salades… » Il n’oubliera ainsi jamais la saveur du poulet au citron confit. « C’était un peu le goût de mon enfance… »

À 12 ans, il croise la route du chef André Halbert, ami de sa grand-mère. À deux pas des parcs à huîtres de Casablanca, face à l’océan, son restaurant À Ma Bretagne est aujourd’hui encore « l’une des plus belles tables de la ville », certifie Matthieu, se remémorant encore cette « grande cuisine française aux influences marocaines ».

Plutôt que d’aller à la plage, l’adolescent s’amuse avec les casseroles. « Je passais toutes mes vacances au restaurant ! André Halbert m’emmenait faire les courses au marché central. J’adorais traîner avec les cuisiniers. J’étais plongé dans ce monde, cette vie en décalé… »

Itinéraire de grand Chef

Le loisir devient passion. La passion, projet d’avenir. Un choix qui n’a rien d’une évidence, quand on a un père docteur et une mère pharmacienne ! « La cuisine n’avait pas forcément l’image d’un avenir idéal…  Mais je n’étais pas branché par la médecine ! Ils voulaient que je passe au moins le bac ! » Le diplôme en poche, Matthieu, tout juste 18 ans, va se frotter au mondeMatthieu de Lauzun assemble exigeant des tables étoilées. Au début des années 2000, son CAP cuisine l’emmène à La Poularde, deux étoiles de Montrond-les-Bains, station thermale proche de Saint-Étienne. « Le chef Gilles Étéocle est un ami d’André Halbert. J’y ai vécu l’expérience des grandes tables, de la grande cuisine bourgeoise. C’était parfois très difficile, mais ce fut une super expérience pour acquérir les bases. » L’itinéraire du futur chef passe ensuite par les trois étoiles : l’Auberge de l’Ill de la famille Haeberlin à Illhaeusern (Alsace), puis la fameuse Maison Bras, à Laguiole. « Chez Bras, c’est un esprit singulier, l’apprentissage d’une cuisine toute personnelle », confie Matthieu de Lauzun. C’est aussi une démarche originale dans le monde du travail. « Il y règne un très grand esprit de famille. On ne nous fournit pas qu’un contrat. Sur place, il y a des espaces de vie. Des activités sont organisées avec les chefs dès que la maison est fermée : balades à VTT, randonnées… » Matthieu de Lauzun en est convaincu : il ne retrouvera jamais pareille expérience. « Je n’avais pas envie de perdre de temps. J’avais 25 ans, je me suis lancé ! » Il ouvre en octobre 2007 son restaurant De Lauzun, à Gignac. 15 mois plus tard, la première étoile arrive ! « C’était un objectif, mais pas si vite… Cela met une pression supplémentaire. Après, honnêtement, c’est une chance : cela permet de mieux vivre de son métier. »

Malgré tout, ce n’est que le début de l’aventure. « Pendant les années qui ont suivi, j’ai continué à me chercher. Je voulais trouver la cuisine qui raconterait mon histoire, qui viendrait du cœur. C’est ce que cherchent tous les chefs : raconter quelque chose de personnel… » Les influences de jeunesse ne sont jamais très loin. « Le cap de l’enfance est essentiel pour la vie d’un cuisinier. C’est un concentré qui fait le terreau de notre inspiration. »

Pézenas, un nouvel élan

Les années passent, et le chef s’interroge. « J’étais un peu en perte de vitesse… J’avais moins envie. » Alexander Pumpyansky tombe donc à pic ! Fils d’un grand entrepreneur russe, il veut redonner son prestige au Prieuré Saint-Jean-de-Bébian, domaine viticole mythique de Pézenas. Et l’investisseur a une idée en tête : recruter Matthieu de Lauzun ! Il faut imaginer la scène : « Un jour, j’ai vu huit Russes débarquer dans mon restaurant, à Gignac. À la fin du service, Alexander vient me parler. Il me dit qu’il a un endroit magnifique, que je dois venir le voir. » Il en fallait de l’imagination pour se projeter dans les vieux bâtiments, en rase campagne. Mais le chef est porté par sa détermination. « 15 jours après, je signais ! J’avais affaire à quelqu’un qui avait une vraie volonté, qui croyait en moi. Il m’offrait la possibilité de créer le lieu de mes rêves. » Un espace avec « beaucoup de hauteur sous plafond, des matières brutes, un maximum de confort ». Entre esprit rural et industriel…

Verser du liquideLe déménagement a lieu à l’été 2018. Matthieu de Lauzun profite de ce nouveau départ pour assumer ses racines. « Jusque-là, je ne voulais pas toucher à la cuisine marocaine. C’était un peu ma madeleine de Proust. Je me suis dit que c’était idiot ! C’est mon histoire, cela doit être ma cuisine. » Sa carte prend alors de fortes consonances orientales. « De petites touches, un apport de goût, d’épices. Du sucré-salé, entre terre et mer… » Un plat devient une signature : la réinterprétation d’une pastilla au pigeon, travaillée autour de la betterave. Peu à peu, le chef intègre d’autres influences, héritées de ses voyages au Japon, à Taïwan…
Par chance, le restaurant de Pézenas récupère l’étoile du chef dès janvier 2019. De quoi imaginer aller plus haut ? « Les étoiles, je n’en rêve pas tous les jours… Avec le temps, on se rend compte que ce n’est pas seulement une question de cuisine. Peut-être qu’un jour on aura une seconde étoile. Mais peut-être qu’on ne l’aura jamais ! » En parallèle, il accompagne le développement d’un hébergement haut de gamme sur place. « On aimerait intégrer le réseau Relais & Châteaux. » Son rêve fou : rénover la petite chapelle XIe siècle du domaine et la faire consacrer, pour pouvoir y organiser des offices, comme les mariages.

 

Le Chef s’engage

Désormais implanté et reconnu à Pézenas, le chef s’engage dans la vie locale. Il a ainsi accepté la proposition de l’Agglomération Hérault Méditerranée d’accompagner les jeunes entreprises dans le domaine du Tourisme. C’est à cette occasion qu’il rencontre Les Terroirologues, qui font de l’Agglo leur territoire d’exploration. Matthieu de Lauzun est devenu le parrain du projet, et a accepté, pour la première fois, d’animer des ateliers dans sa cuisine. « C’était l’occasion de rencontrer autrement le public, de se tester… Cela va être sympa. » Un premier concept est imaginé autour de la Tielle avec la référence sétoise Sophie Cianni. Pari gagnant : les places se sont arrachées en moins de deux jours ! « C’est un coup de pouce pour le projet, mais j’ai aussi quelque chose à en tirer… » D’ailleurs, il imagine déjà de futurs ateliers. Notamment un, qui sonne comme une évidence : la cuisine marocaine. « On pourrait inviter une personne de talent, créer ensemble un couscous, un tajine, les revisiter… » Comme un joli retour aux sources…

Gwenaël Cadoret