Julien Escot,

L’alchimiste des cocktails.

Dans le monde prestigieux des bartenders, son nom est une référence. Depuis 20 ans, Julien Escot est un expert des cocktails, accumulant les récompenses internationales. Portrait d’un passionné qui a initié Montpellier à la culture de la gastronomie liquide.

Montpellier est de retour dans la carte mondiale des bars ! Cet été, la fondation américaine Tales of The Cocktail a sélectionné Aperture, un établissement du centre-ville, dans son Top 10 des nouveautés internationales. Au milieu des plus belles adresses de Londres, Berlin, New York ou Sydney !
Une récompense qui tient beaucoup à son fondateur, Julien Escot. Depuis une décennie, Montpeller a la chance d’accueillir l’une des étoiles internationales du monde des cocktails. C’est sans doute le Français le plus récompensé dans le monde !

Jugez plutôt : « Barman mondial de l’année » 2004 lors du Drinks International Bartender Challenge de Londres, pour son étonnant « casse-noisette » aux faux airs de tiramisu ; premier français à remporter le « Grand Prix Havana Club International » en 2012, l’équivalent de la coupe du monde des bartenders ; « Barman français le plus influent » en 2013, selon Cocktails & Spirits. Et récemment, Havana Club l’a sélectionné parmi les « 11 meilleurs patrons de bar » au monde !

Le Martinez, à Cannes

Le symbole d’une trajectoire fulgurante d’un homme toujours passionné et visionnaire, à 44 ans. « Je ne recherchais pas forcément les médailles, mais je voulais me mesurer aux meilleurs. Recevoir la reconnaissance de la profession, c’est cool ! » Pourtant, tout aurait pu s’arrêter avant même de commencer. Car ce pur « Sétois et fier de l’être », fan de joutes, de tielles et d’encornets farcis, a un caractère bien trempé. « J’étais pas mal indiscipliné à l’école », sourit-il. À tel point qu’après son BEP, l’école hôtelière de Sète lui refuse la spécialisation « métiers du bar » ! Un sacré paradoxe, quand on connaît la suite. Mais Julien Escot ne se décourage pas. « J’étais attiré par ces métiers créatifs, où l’on est en prise directe avec le client. Les interactions me semblaient plus riches qu’en restaurant. » Il choisit donc la spécialité sommelier, et convainc ses enseignants de remplacer ses stages en restaurant par des bars : Club Med Cadaqués, Martinez à Cannes… « Le Martinez, j’ai adoré. C’était une belle équipe, avec une légende vivante à sa tête : Georges Enrietti. »


Il sert les stars d’Hollywood

Les cocktails ne sont pas encore à la mode. « On les trouvait essentiellement dans les grands hôtels. Mais c’est l’époque du film cocktail. Ce côté show, magie, me faisait un peu rêver. » Après son service militaire, il va donc faire des saisons au bar de l’Hôtel du Cap-Eden Roc, à Antibes. Le palace tendance de la fin des années 90, où séjourne le Tout-Hollywood pendant le Festival de Cannes. « Un de mes premiers soirs, j’ai demandé à un collègue si ce n’était pas Winona Ryder à une table. Il a éclaté de rire, et m’a dit de regarder : il y avait Johnny Depp au bar, et Stallone juste derrière ! »

Entre ses 21 et ses 24 ans, ce fan de cinéma va vivre des anecdotes truculentes. Comme ce moment où, alors que la maison interdit de manger au bar, il réalise des sandwichs en douce pour Mel Gibson ou Val Kilmer. Ou cet énorme stress, après avoir renversé un soda sur Sylvester Stallone. « Il m’a dit que ce n’était pas grave, et m’a juste demandé une serviette. » Il juge d’ailleurs qu’il est parfois « plus simple de servir à l’Eden-Roc qu’à Montpellier. Ici, on peut croiser des clients plus difficiles… »


Le Papa Doble

La tête pleine de rêves, le bartender va poursuivre son chemin initiatique, entre saisons dans les palaces, lectures et voyages en quête des « meilleures cartes du monde ». Pendant 10 ans, il sera notamment chaque hiver chef barman du Kilimandjaro (désormais K2), l’un des grands hôtels de Courchevel.

Mais une idée un peu folle l’anime : démocratiser les bars à cocktails. « En 2008, il n’en existait qu’un en province, à Lyon. » Julien Escot fait le pari de créer son écrin dans sa région, à Montpellier. Le Papa Doble ouvre en 2009 dans le quartier Sainte-Anne. Un lieu original, en sous-sol, avec son éclairage subtil et ses alcôves en cuir, dans un esprit très années 50. Après des premiers temps difficiles, un petit miracle va le faire décoller : fin 2011, le très respecté « Drinks international magazine » classe le Papa Doble parmi les 50 meilleurs bars au monde ! « Je n’imaginais pas que cela soit possible. Montpellier s’est retrouvé au milieu de grandes capitales mondiales ! »

Pendant 5 ans, le patron va alterner entre le Papa Doble et des projets personnels, notamment la publication de livres. Mais au bout d’un moment, ce touche-à-tout a des envies d’ailleurs. « C’était la première fois que je restais 7 ans dans le même endroit. Arriver tous les jours à 14h ou 15h, repartir à 2h, rester dans le même sous-sol… »


Le retour du boss

Il cède donc son lieu iconique fin 2016. Après un an de coupure totale, il a l’opportunité de reprendre un local à l’abandon, à l’angle de la place Castellane. Avec un architecte, il imagine un espace épuré avec un ilôt central, dans un esprit de loft industriel très new-yorkais. En plus du bar, il installe une cuisine, dont les recettes seront parrainées les premiers mois par le chef Guillaume Leclère.

Aperture ouvre en décembre 2018. Un nom qui fait référence à l’ouverture, en photographie. Un clin d’œil à son autre passion : la plupart des clients ignorent ainsi que les images en noir et blanc qui habillent les murs sont des œuvres du chef himself ! « La photo, c’est une obsession. A une époque, j’ai hésité entre le bar et l’image. J’étais déjà bien engagé dans ma carrière, et j’ai fait le choix d’aller au bout. » Son nouveau lieu répond à sa pulsion d’explorer ce nouveau mode d’expression.« Aperture me permet de faire le lien entre mes deux passions. »

En tout cas, il parvient à donner un esprit singulier à Aperture, entre chaleur et simplicité. « C’est un lieu sans trop de chichis. On se focalise sur le goût, la qualité, la précision. Avec, bien sûr, une note d’originalité. » Des valeurs qui lui permettent d’obtenir à nouveau, en à peine 6 mois, la reconnaissance mondiale.


Des ateliers de créativité

Clin d’œil de la vie : lui, l’ancien banni, participe désormais aux jurys « mentions barman » des écoles hôtelières de Sète et de Montpellier. Aux élèves, il transmet son message : « le plus important est d’être juste dans le goût. Être créatif, mais précis. Une création doit être exécutée avec la même perfection qu’un classique. Il faut maîtriser les gestes, les alliances de saveurs, la connaissance des produits. » Et s’il n’aime pas trop la notion de « gastronomie liquide », il concède une approche commune avec les cuisiniers, une réflexion culinaire.

Une démarche que Julien a accepté, pour les Terroirologues, de dévoiler au grand public. « Je ne voulais pas quelque chose où l’on reproduise juste mes gestes. Mais plutôt un concept fort, autour de la créativité. Que chacun puisse créer sa recette, apprendre les gestes de base, être surpris par la qualité du résultat. » Pour que les gens puissent, de retour chez eux, imaginer d’autres cocktails. Quoi de mieux pour cela que d’apprendre avec l’un des meilleurs du monde ?

 

Gwenaël Cadoret

 

L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération.